Attaques rwandaises en RDC: «Les Nations unies ont reconnu ce que nous disons depuis des années»
Dans l'est du Congo-Kinshasa, l'ONU confirme que, depuis dix mois, l'armée rwandaise lance des attaques, certaines fois directement, d'autres fois aux côtés des rebelles du M23. Réaction d'une figure de la société civile congolaise, le professeur de sciences politiques Alphonse Maindo qui enseigne à l'université de Kisangani et à l'université Paris 1. C'est aussi un défenseur des droits de l'homme qui a failli être arrêté, il y a deux mois, par les autorités militaires de Kisangani. De passage à Paris, il répond aux questions de RFI.
Quelle est votre réaction à ce rapport des Nations unies sur le M23 ?
Je suis tout à fait satisfait du fait que finalement, les Nations unies ont reconnu ce que nous avons toujours dit depuis de longues années. Avec d’autres collègues, avec le professeur Denis Mukwege, on a toujours dit qu’il y a une présence de forces armées rwandaises en RDC. Mais là, on est content que finalement, on soit entendus, et à mon avis, le fait qu’il y ait eu autant de mobilisation contre la Monusco ces derniers temps ne peut pas être étranger à ce que ce rapport soit publié en ce moment. Maintenant, c'est à nous, Congolais, de pouvoir nous saisir de ce rapport et de tirer toutes les conséquences, parce que le gouvernement congolais ne semble pas comprendre les enjeux qu’il y a derrière ça et continue à traiter avec un pays qui nous agresse et qui tue nos frères et nos sœurs, qui pille nos ressources. Il y a des mesures simples à prendre : entre autres fermer les frontières, renvoyer l’ambassadeur du Rwanda, et je rappelle que l’économie rwandaise dépend presque à 50% des ressources du Congo, donc si nous coupons toute coopération économique, ou bien commerciale avec le Rwanda, eh bien, il est fort à parier que ce pays sera asphyxié et on va faire la paix.
Vous parlez de la Monusco, c’est justement grâce à des vidéos de drones fournies par la Monusco que l’ONU a pu prouver la présence de troupes rwandaises, notamment lors de la chute de la ville congolaise de Bunagana. Est-ce que cette information peut rendre l’opinion publique congolaise un peu moins hostile à l’égard des Casques bleus de la Monusco ?
Je pense que ça peut contribuer, même si ça ne peut pas rendre vraiment moins hostile, mais au moins ça peut contribuer à améliorer l’image que l’on a de la Monusco, que la Monusco ne fait pas que se tourner les pouces et qu’elle fait aussi son travail, pas seulement un travail de combat, mais aussi un travail d’observation, de renseignements utiles pour permettre aux uns et aux autres de savoir ce qui se passe.
À la suite des affrontements entre manifestants et Casques bleus qui ont fait 36 morts ces dernières semaines dans l’est de votre pays, le gouvernement veut accélérer le retrait de la Monusco du Congo, un retrait qui devait s’échelonner initialement jusqu’en 2024. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est une grosse erreur stratégique de la part de notre gouvernement de vouloir accélérer le départ de la Monusco, parce que ce départ va créer un vide immense, parce qu’en face on n’a pas des forces armées en capacité de faire face aux menaces que nous avons là, ce départ va nous créer des troubles encore plus graves. Et je rappelle que nous avons déjà connu une situation similaire dans la région au Rwanda en 1994 lorsque la Minuar (Mission des Nations unies au Rwanda) avait été contrainte de partir dans la précipitation et l’on connait la suite, l’horreur absolue, le génocide rwandais. Et je sais que pour des raisons tout à fait politiques, le régime en place voudrait ne plus avoir de témoin gênant, comme l’est la Monusco, pour pouvoir organiser un chaos pour les élections, pour tricher massivement, sans qu’il y ait quelqu’un pour témoigner de ce qui se passera. Donc j’en appelle à la conscience de nos dirigeants, et à la mobilisation de notre peuple pour qu’il n’y ait pas de vide, pour éviter que le départ de la Monusco puisse se faire dans le désordre, dans la précipitation.
Il y a deux mois, vous avez été victime d’une tentative d’arrestation par les militaires à votre domicile de Kisangani, mais après la mobilisation de vos collègues enseignants et de vos étudiants, les militaires y ont renoncé. Pourquoi êtes-vous dans leur viseur ?
Alors en réalité, je ne suis pas seulement dans le viseur des militaires, je suis dans le viseur du régime en place, parce que je suis militant des droits humains, donc nous sommes en train de dénoncer les crimes qui sont restés impunis depuis de longues années et il se fait que parmi les gens qui sont aujourd’hui aux affaires, il y a un certain nombre de gens qui sont présumés auteurs ou qui sont vraiment cités dans différents rapports, comme le rapport Mapping, comme étant les auteurs de ces crimes les plus graves. Et ce n’est pas un hasard que cette tentative d’arrestation se soit passée le 10 juin qui était donc la date anniversaire de la fin de la Guerre des six jours qui avait opposé, au plus fort de la guerre en juin 2000, les Rwandais et les Ougandais à Kisangani, entrainant plus de 1000 morts, et j’ai fait une conférence à l’amphithéâtre de Kisangani, le 6 juin dernier, pour dénoncer cette situation, j’ai dit qu’il y avait encore des gens qui étaient dans l’impunité et qui narguaient leurs victimes, puisqu’il y en a qui sont encore aux affaires, y compris dans la ville de Kisangani. Ainsi, il se trouve qu’on a là un des officiers qui a participé à ces opérations en 2000 qui est commandant de la 31eme région militaire, donc on comprend bien que ce type de discours ne puisse pas leur faire plaisir.
Alors suite au massacre des années 1996-2003 dans votre pays, vous réclamez, comme le Docteur Mukwege, le prix Nobel de la Paix, la création d’un tribunal pénal international sur le Congo, mais est-ce que vous ne criez pas dans le désert ?
Bah non, parce que, quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit toujours par se lever. Et je rappelle par exemple que le génocide arménien a pris un siècle avant d’être reconnu et donc nous, pour le Congo, nous ne sommes pas encore à un siècle, nous sommes simplement à un quart de siècle. Nous n’allons pas nous lasser et donc c’est pour ça que je pense qu’il faut qu’on puisse avoir quelqu’un qui croit en ce combat, et cet homme, c'est le prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, qui est pressenti pour être candidat aux élections de 2023, nous pensons qu’il faut que cet homme-là puisse prendre les devants avec des réformes profondes de notre gouvernance, de notre système de sécurité pour que le pays joue ce rôle majeur qu’il doit jouer en Afrique centrale, être la locomotive qui permettrait le développement du continent.